2024 octobre
Seul aux commandes…
Au final, dans un marathon, on est toujours seul. Parce que, comme il l'a parfaitement expliqué Alan Sillitoe dans un de ses beaux romans, courir c'est la rébellion mais c'est surtout l'anarchie. C’est un privilège peut-être fou aussi mais où chacun a la liberté et le pouvoir de décider quelle sera sa dose de souffrance et d’épuisement. Et c’est ainsi que la conscience devient réelle. Mais la solitude n’est pas l’apanage des marathoniens. Il y a aussi la solitude de ceux qui grimpent, de ceux qui vont en mer, de ceux qui nagent et de ceux qui font du vélo. Déjà les cyclistes. Facile de voyager en groupe. L'air ne se précipite pas sur vous et si vous avez juste un peu de familiarité et de courage, le groupe vous emmènera se promener sans une goutte de sueur. «Allez trente pour cent de plus…» répète toujours un de mes amis qui comprend le cyclisme. Et il a raison. Sans avoir à faire de calculs, cela signifie que vous pouvez rouler à 40 mph même sans vous casser l'âme. Mais le groupe n'est pas toujours là. Et puis, même à vélo ou lors d'un marathon, la conscience de ce qui vous arrive devient plus réelle. Même à vélo ou lors d'un marathon, chacun a le pouvoir de décider quelle sera sa dose de souffrance et d'épuisement. Parce que mètre après mètre l'air qui arrive à votre visage devient plus fort et même si vous essayez de vous échapper, pour vous donner la forme la plus aérodynamique possible, vous ne pouvez rien faire. Il se glisse, vous arrête et vous ralentit dans un défi que vous ne pouvez pas gagner car lorsque vous êtes seul sur la selle du vent, vous ne pouvez pas vous échapper. Cela complique votre vie, dégrade votre humeur et vous fait vous sentir plus seul que vous ne l’êtes. Cinquante, soixante, soixante-dix kilomètres à vélo seul sur les lignes droites humides de la vallée du Pô où il n'y a pas de mer à côté de vous pour vous tenir compagnie ni de montagnes à défier, comptez pour trois. Et que pense un cycliste lorsqu’il pédale seul pendant trois ou quatre heures ? En fait, il ne pense pas. Il se concentre sur la sueur qui coule de son casque, sur le compteur kilométrique qui ne monte pas, sur ses mains qui picotent et sur ses jambes qui gonflent et tournent de moins en moins vite. Il essaie de comprendre quand les rafales vont lui donner un répit, à quelle intersection, dans quelle courbe. Il essaie par tous les moyens d'anesthésier son agonie. Seul. Comme toujours. Comme dans l'histoire. Parce qu'à vélo, il n'y a toujours qu'un seul homme aux commandes…