2224 juillet
Pogacar ? Ni cannibale, ni blaireau, ni pirate : il suffit de le regarder dans les yeux
Tadej Pogacar et Mark Cavendish premier et dernier du Tour qui a couronné le Slovène dans l'Olympe des champions ayant réalisé le doublé avec le Giro. Première et dernière à plus de six heures et vingt minutes d'intervalle, soit près de deux étapes. Premier et dernier inconvénient Eddy Merckx: le champion des Emirats Arabes Unis parce qu'il serait le nouveau « cannibale », le sprinteur de l'île de Man parce qu'il l'a surpassé en nombre de victoires d'étapes. Mais, au-delà du fait que les comparaisons entre champions d’époques différentes prennent toujours du temps, elles sont ici encore moins réalisables. Pour Mark Cavendish la discussion s'arrête vite car la comparaison n'existe pas réellement : il a gagné une étape de plus mais cela ne compte pour rien car l'histoire, la classe, la valeur racontent des mondes différents et lointains. Indiquer. Pour Tadej Pogacar la question est différente. Pogacar est Pogacar, un et unique. Il est difficile de dire s'il est plus talentueux, plus fort, plus champion que les autres car au cours de ces quelques années (il n'en a que 25) de domination, il a donné sa propre empreinte aux courses, aux victoires, aux défaites et au fait d'être le témoignage d'un nouveau cyclisme dans l'attitude tactique et pas seulement tactique qui ne peut être comparé à personne. Pogacar attaque même quand il ne devrait pas, sprinte même quand il a pu se sauver, gagne et gagne gros mais plus qu'un cannibale il apparaît comme un « révolutionnaire » qui renverse les clichés du cyclisme comme toujours. Aurait-il dû être moins audacieux pour ne pas contrarier le groupe ? Aurait-il dû cultiver davantage les alliances avec d’autres équipes pour pouvoir compter sur quelqu’un dans les moments difficiles ? Jonas Vingegaard aurait-il dû gagner une étape ? Et pourquoi? Le sport enseigne que les adversaires se respectent en continuant à jouer, à pédaler et à se battre jusqu'au bout. S'arrêter, leur céder la place, un sprint, une victoire équivaut à les « humilier » sur le terrain. On parle tellement de valeurs, de loyauté, de respect qu'il suffit de regarder un match de rugby (un sport qui se nourrit de traditions et de valeurs) pour se rendre compte que jamais, au grand jamais, sur le terrain, une équipe ne cesserait de se battre pour ne pas humilier un adversaire, car seul le contraire est vrai, car un adversaire ne se respecte qu'en n'accordant pas de réductions ou de cadeaux. C'est toujours. Pogacar n'est pas Eddy Merckx, Bernard Hinalt, Fausto Coppi, Jacques Anquetil, Miguel Indurain ou Stéphane Roche parce que c'est un champion absolu né de son époque. Quel est l’intérêt des comparaisons à rebours dans le temps ? Tout a changé : les vélos, les routes, l'alimentation, l'entraînement. La culture d'un sport a changé, qui reste heureusement bien ancrée dans son histoire et ses mémoires mais qui est aussi capable de composer avec le temps qui passe et de comprendre qu'entre les champions d'aujourd'hui et ceux d'hier il y a un monde entre les deux. Et cela s'applique à tous les sports. Mais Pogacar n’a rien à voir non plus Marco Pantani, le dernier à remporter le Giro et le Tour, le huitième des champions à le faire. Cela n'a rien à voir mais pas pour une raison technique, car il pédale différemment en montée, parce qu'il est plus fort dans le contre-la-montre parce qu'il domine aussi les classiques, parce qu'aujourd'hui nous courons avec des casques pneumatiques au lieu de bandanas. La différence n'est que dans le regard : mélancolique, annonciateur de quelque chose de dramatique, celui du Pirate ; la gascogne, irrévérencieuse et ensoleillée celle de ce garçon à la banane qui écrit un morceau d'histoire du cyclisme. Voici la différence entre Pogacar et tous les autres, c'est peut-être précisément cela : l'extraordinaire capacité à faire des choses énormes avec une sensation de légèreté absolue. Ni Cannibale, ni Pirate, ni Badger. Il suffit de le regarder dans les yeux….