La profession de médecin est devenue de plus en plus difficile, non seulement en raison des lourdeurs bureaucratiques, mais aussi en raison d’un changement dans la relation avec les patients. La pandémie a contribué à faire émerger un malaise qui était resté caché
Quiconque entreprend des études de psychologie tombe tôt ou tard sur une image : l’image d’une illusion. C’est la figure connue sous le nom de Vase Rubis, créé par le psychologue danois Edgar Rubin en 1915. L’œuvre est un ensemble de formes ambiguës, aux frontières incertaines. Selon ce sur quoi l’œil du spectateur se concentre, il peut voir un vase ou les profils de deux visages. Les deux images sont théoriquement visibles mais une seule peut être mise au point. La difficulté pour notre cerveau est de définir qui entoure quoi, donc un problème de relations et de profondeur. Il est donc utilisé pour représenter des couples de binômes, comme celui médecin-patient par exemple. On a longtemps mis au premier plan la figure du médecin, le vase, dans une position souvent asymétrique et supérieure. Ces dernières années, un renversement de tendance a fait que l’attention portée au patient s’est accrue, faisant émerger de plus en plus les deux visages.
Actuellement, dans l’ère post-Covid, les tensions de la pandémie se font de plus en plus sentir, ramenant l’attention sur le personnel soignant. De plus en plus de médecins (surtout hospitaliers) sont fatigués, démotivés, épuisés. Un nombre croissant d’articles scientifiques au cours des deux dernières années se sont concentrés sur la détection des niveaux de souffrance mentale chez les opérateurs. Les causes de mal-être sont nombreuses, dont beaucoup sont liées à des aspects organisationnels et managériaux. Toutefois, la modification de la relation médecin-patient joue également un rôle. Divers éléments ont progressivement modifié cette relation figure-fond et nous nous retrouvons souvent face à des patients de plus en plus exigeants, plus enclins à faire confiance Dr Google qu’à ceux qui sont devant eux, prêts à porter plainte. Dans une perspective de plus grande participation et d’adhésion au parcours de soins, on parle beaucoup d’engagement des patients. Cependant, pour ceux qui sont au contact quotidien des patients du service, cela peut apparaître comme une dimension trop théorique, voire parfois irritante. Un concept utile, donc, s’il est conçu en termes de chemin, d’objectif.
Chaque acquisition de rôle apporte des avantages si elle s’accompagne de la même croissance des connaissances pour en faire bon usage. Le patient et le médecin doivent être préparés à un nouveau type de relation, plus symétrique, plus consciente mais nécessairement plus informée et plus éduquée. Le thème de comment vont les médecins moins un problème de santé mentale qu’une qualité de vie, des conditions de travail, la possibilité et le plaisir d’exercer l’un des plus beaux métiers du monde. Ce sont des vases qui contiennent un trésor mais il peut s’agir de vases en terre cuite.
* Psychologue clinicien à l’hôpital San Raffaele, professeur de psychologie, Université de la vie et de la santé, Milan