La capacité à dialoguer prévient le risque que la relation entre les deux parties reste stérile

Ni Le métier de vivre Cesare Pavese s’est demandé pourquoi on devrait se sentir mieux en communiquant avec un autre qu’en étant seul et il a répondu que c’était parce qu’il avait besoin de nous éloigner des autres. Pour un médecin, la situation est similaire, car ses connaissances non seulement cognitives (technico-scientifiques) et normatives (se référant aux lois et aux règles éthiques), mais aussi relationnelles. Mais dans cette relation on part presque toujours d’une asymétrie des rôles : le médecin qui mène la danse et établit un rythme. Mais, comme dans les danses, le partenaire n’est jamais passif et intervient pour moduler l’intensité, le contenu et les temps. Ainsi, dans la relation, les rôles dominants ou privilégiés sont flous. Un médecin ne parle pas au mur, il converse avec une créature rationnelle et sensible qui est également capable de danser. Mais comme c’est à lui de poser les premières questions, d’apporter ses connaissances, de répondre aux questions posées et d’aider les personnes atteintes à se repérer, il doit aussi avoir des qualités de communication. Doit être un bon danseur.

Une visite médicale peut être très détendue. Et puis ça ne pose pas de pénibles problèmes de dialogue. Différent lorsque motivé par un diagnostic grave, comme un cancer. Ici le climat est différent, il peut devenir rude, froid, suffocant. La communication médecin-patient commence généralement à partir d’un état modérément symétrique. Nous nous faisons face, les yeux au même niveau, tous deux assis, chacun exerçant le même droit de parole, on s’exprime dans un langage commun, on utilise des tons calmes, il y a une disponibilité et une attention égales. Bref, la relation devient asymétrique du fait de l’irruption de l’invité de pierre, du cancer, voire de la moindre ombre de suspicion. Son démon commence à rendre l’atmosphère sulfureuse, serre la gorge, mord l’esprit. Quelqu’un commence à poser des questions d’une manière nerveuse, brisée et agitée. En revanche, les réponses sont réfléchies, exhaustives, pondérées, mais parfois distantes et imprécises.

Il y a ceux qui ne savent pas des choses par rapport à quelqu’un qui en sait beaucoup; qui a peur et qui n’a pas peur; qui a besoin d’aide et qui l’offre; qui se sent faible et qui est perçu comme fort. Bref, la relation prend la forme d’une partie d’échecs entre un néophyte et un champion. Mais le jeu médical ne se termine pas avec un gagnant et un perdant. Au final la paix qui doit dominer. A condition que celui qui dicte les règles équilibre les étapes d’un échange basé sur une nouvelle hiérarchie : douce, perçue et partagée. L’asymétrie fondée sur la dualité expert/incompétent et sur l’écart sain/malade doit s’aplanirpresque disparaître. Et la responsabilité en incombe entièrement au médecin. Ainsi la danse peut fusionner les danseurs en un seul vortex communicatif et rendre égal – en termes de respect et d’empathie – une condition qui risque de se nouer et de rester stérile.

* Sénologue, docteur en philosophie

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